Interview. Un an après la ferveur de Paris 2024, le mouvement paralympique veut transformer l’essai. Samedi 6 septembre 2025, la Journée paralympique fera son retour à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). L’événement réunira près de 80 athlètes, dix-sept fédérations et plusieurs expériences immersives destinées à rapprocher le grand public de la réalité du parasport. Plus qu’un temps de découverte, cette journée se veut un symbole de proximité entre les sportifs et les Français, et un relais pour l’inclusion dans les clubs.
Mais derrière la fête plane une inquiétude. Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF), alerte sur les défis qui se profilent. Baisse des budgets publics, retrait de certains partenaires privés, nécessité de mieux accompagner les clubs : selon elle, l’élan de Paris 2024 ne suffira pas sans moyens. Dans cet entretien, elle défend l’importance de maintenir la dynamique, insiste sur le rôle essentiel des entreprises et rappelle que “couper dans le sport, c’est couper dans la richesse du sport français”.
Quel est l’objectif de cette Journée paralympique ?
Marie-Amélie Le Fur : « L’idée, c’est de continuer à créer un lien fort entre les Français et les Jeux paralympiques. À travers cette journée spécifique, on veut amener chacun à mieux comprendre et connaître les particularités de cet événement. C’est pour ça qu’on s’appuie depuis la première édition sur de grands piliers. Le premier, ce qui fait la force et la beauté de cette Journée, c’est la présence des athlètes. Ils seront quatre-vingts le 6 septembre à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Ils partageront leur discipline, leur expérience, participeront à des débats, ou simplement se baladeront sur le site pour échanger avec le public. Cette proximité nous tient énormément à cœur. C’est un moment privilégié de rencontre entre les Français et les sportifs qui nous ont fait vibrer à Paris 2024. Certains d’entre eux préparent déjà les Jeux de Milan-Cortina en 2026. Le deuxième pilier, c’est la mobilisation des fédérations. Elles proposent aux visiteurs – souvent des familles – de découvrir et de tester un grand nombre de disciplines paralympiques. Dix-sept fédérations seront présentes, avec des stands pour s’initier. Des athlètes de haut niveau accompagneront ces initiations. Le troisième pilier, ce sont les expériences immersives. Elles permettent de ressentir concrètement ce que signifie une pratique paralympique. Nous avons développé, au fil des éditions, plusieurs ateliers pédagogiques et interactifs. Enfin, à partir de 18 heures, nous proposerons aussi un volet festif et culturel avec une programmation musicale et qui débutera par un moment de célébration et de souvenirs autour des Jeux de Paris 2024. »
Pourquoi maintenir cette Journée paralympique alors que, quelques jours plus tard, sera organisée la première édition de la Fête du sport ?
M.-A. L. F. : « C’est un vrai débat, que nous avons depuis plusieurs années. La Journée olympique existe depuis longtemps, le 23 juin. Sous l’impulsion de Paris 2024, elle avait déjà intégré certaines disciplines paralympiques. Mais à nos yeux, ça ne suffisait pas. Le côté paralympique, l’enjeu de performance, passaient trop au second plan. On tenait absolument à garder une Journée dédiée, car elle permet de parler spécifiquement au public en situation de handicap. Quand l’événement n’est pas marqué “paralympique”, on a plus de mal à attirer ces personnes. Oui, on s’est demandé si ça avait du sens d’organiser cette Journée à la même période que la Fête du sport. Finalement, on a décidé de la maintenir, une semaine avant. Nous voulions qu’elle coïncide avec la rentrée des clubs, au moment où l’on reprend les inscriptions. Les deux événements sont complémentaires : la Fête du sport met en avant le sport pour tous, la Journée paralympique valorise la performance et l’inclusion. »
Un des grands objectifs de Paris 2024 était d’inciter les jeunes en situation de handicap à la pratique sportive. Un an après, quel bilan tirez-vous ?
M.-A. L. F. : « Globalement, il est positif. Les Jeux ont joué un rôle de catalyseur. En termes de visibilité et de notoriété, le saut est évident. L’offre sportive a gagné en reconnaissance, c’est incontestable. Côté licences, la dynamique est également là : la demande des personnes en situation de handicap a augmenté entre 10 et 20 % selon les fédérations. Et cela concerne aussi des handicaps lourds, ce qui est un signal très encourageant. Les Jeux ont montré que la sévérité du handicap n’empêche pas la pratique, à condition d’être bien orienté vers la discipline adaptée. Mais il reste un défi : l’offre. Fin 2022, seulement 1,4% des clubs se déclaraient capables d’accueillir une personne en situation de handicap. C’est trop peu. Depuis, les choses bougent. On travaille avec nos référents régionaux, les clubs, les collectivités. Petit à petit, l’offre sportive se convertit vers le parasport. Parfois, un simple aménagement suffit. Le programme “Club inclusif” a d’ailleurs prouvé son efficacité. Il est désormais bien identifié dans les territoires. Nous allons bientôt faire le bilan, trois ans après son lancement, et lancer une version 2, plus ambitieuse, avec davantage d’accompagnement et de formation pour les clubs. L’idée est d’accélérer la conversion du mouvement sportif vers une offre pleinement inclusive. »
Avez-vous les moyens d’atteindre ces objectifs ?
M.-A. L. F. : « Réussir repose sur deux conditions. D’abord, une dynamique d’acteurs. Et celle-ci ne s’est pas éteinte après Paris 2024. Les partenaires privés se sont un peu retirés, mais ça tient aussi au contexte économique. Du côté des pouvoirs publics, en revanche, le soutien reste fort. Ministère des Sports, collectivités, agences régionales de santé : tous ont compris l’importance de notre mission. Mais oui, je suis inquiète. Les discussions budgétaires qui arrivent pour 2026 annoncent une baisse de 18% par rapport à la trajectoire prévue. Nous avions déjà subi une coupe de 8% après les Jeux, et 300 millions d’euros en moins pour le budget du sport. Si les moyens ne suivent pas, comment maintenir les associations, les emplois, la professionnalisation du mouvement sportif ? On parle aussi de rénovation et d’accessibilité des équipements. Tout cela demande des financements. Paris 2024 a permis d’élargir la vision du sport : ce n’est plus seulement de la compétition, mais aussi de la santé, du loisir, du plaisir, du parasport. Si demain on réduit les budgets, ce sont tous ces projets qui sont menacés. Le sport n’est pas une dépense, c’est un investissement. Chaque euro investi permet d’en économiser treize sur d’autres politiques publiques, en santé notamment. Couper dans le sport, c’est affaiblir la richesse et la diversité du modèle français. »
Vous évoquiez le secteur privé. Beaucoup d’entreprises arrivées avec Paris 2024 se sont retirées. Est-ce inquiétant ?
M.-A. L. F. : « Pas complètement surprenant, mais préoccupant, oui. Les Jeux à domicile ont généré une dynamique unique. Certains partenaires n’étaient là que pour cette aventure. En revanche, on n’avait pas anticipé l’ampleur du désengagement, qui s’explique par le contexte économique actuel. Les entreprises recentrent leurs priorités, c’est compréhensible. Mais notre rôle, c’est de rappeler que le sport a besoin d’elles. Et que les échéances reviennent vite. Los Angeles 2028 peut sembler loin, mais ça arrive toujours très vite. Nous devons leur proposer une vraie stratégie, leur montrer que soutenir un athlète n’exige pas forcément des budgets énormes. Toutes les entreprises, petites ou grandes, peuvent contribuer et jouer un rôle dans le parcours des sportifs. Il y a aussi un enjeu RSE : les entreprises peuvent avoir un impact sociétal fort en finançant le parasport, que ce soit au niveau national ou local. C’est un argument puissant pour réengager le dialogue. Notre mission, désormais, est de convaincre qu’investir dans le sport paralympique, ce n’est pas seulement un partenariat d’image, c’est aussi une action concrète pour l’inclusion. »
Entretien : Bruno Fraioli
© SportBusiness.Club – Septembre 2025