Interview. En pleine consultation d’agences pour l’accompagner dans sa stratégie de communication à travers le sport, TotalEnergies délaisse petit à petit les sports mécaniques pour le football, le cyclisme et le rugby. A travers ces choix, le groupe français prend le pas de sa transition stratégique d’entreprise “plus durable”.
Pour autant, la société n’échappe pas aux critiques. Dernièrement, New Weather Institute dénonçait le financement du sport mondial à hauteur de 5,3 milliards de dollars par les géants du pétrole et du gaz, dont 340 millions de dollars pour TotalEnergies. L’association pointe du doigt une stratégie de “sportwashing” ce que Martin Bertran, vice-président marque, publicité et sponsoring du fournisseur d’énergie, réfute fermement.
Quelle est l’appétence de TotalEnergies pour le sport ?
Martin Bertran : « Elle est très forte. Depuis le milieu des années 2010, nous avons élargi notre portefeuille sponsoring au-delà des sports mécaniques. Nous nous positionnons désormais essentiellement sur des sports incarnant la valeur du collectif, ce qui fait écho à nos valeurs de solidarité et de respect de l’autre notamment. Nous choisissons des disciplines nous permettant de répondre à nos différents enjeux en fonction des géographies pour TotalEnergies. C’est le cas du football en Afrique, avec une dizaine de compétitions de la Confédération Africaine de Football dont nous sommes le namer : la principale étant la CAN. Du côté du cyclisme, nous poursuivons depuis 9 ans l’aventure en tant que sponsor-titre de l’équipe vendéenne de de Jean-René Bernaudeau. Nous sommes très attachés en particulier au Tour de France et à son immense popularité, sur la route et dans les médias. Nous pouvons ajouter à cela le badminton en Asie avec un accord de sponsoring avec le Fédération Internationale ».
TotalEnergies est désormais très présent dans le rugby. Pourquoi ?
M.B. :« Nous sommes historiquement liés à la Section Paloise depuis 40 ans. Plusieurs milliers de collaborateurs de la Compagnie travaillent à Pau dans notre Centre Scientifique et Technique. L’axe rugby s’est très largement développé pour TotalEnergies depuis la Coupe du Monde masculine de rugby 2023 organisée en France. Notre partenariat avec France 2023 a été un franc succès, interne et externe : au sortir de la compétition, notre marque était la deuxième la plus citée comme partenaire de l’événement. Nous avons semé une graine et nous devions capitaliser dessus. C’est pourquoi, à peine quelques semaines plus tard, nous nous sommes associés à la Fédération Française de Rugby et à la Ligue Nationale de Rugby pour poursuivre notre engagement dans ce sport qui a une dimension territoriale et une force du collectif très importante pour notre compagnie ».
Allez-vous délaisser les sports mécaniques ?
M.B. : « Nous restons partenaires de plusieurs événements, au premier rang desquels les 24 Heures du Mans et le WEC (World Endurance Championship) dans son ensemble. Ce qui compte pour nous est d’accompagner la compétition mécanique dans sa transition énergétique : TotalEnergies investit donc pour accompagner la décarbonation du secteur. Ainsi, pour le WEC, nous fournissons à toutes les écuries un biocarburant issu à 100% de résidus de vigne ».
Regrettez-vous le fait que Julian Alaphilippe n’ait pas rejoint Team TotalEnergies ?
M.B. : « Julian Alaphilippe est un coureur talentueux et populaire, Jean-René Bernaudeau lui a fait une proposition, il a choisi une autre équipe, dont acte. Mais nous avons confiance dans l’équipe TotalEnergies, qui a su briller lors de l’édition 2024 du Tour de France. Pour TotalEnergies, qui a une marque jeune, le Tour de France est un formidable levier d’installation de marque. Sponsoriser une équipe permet bien sûr une grande visibilité, mais nous sommes aussi très attachés à la caravane publicitaire : c’est un merveilleux moyen d’incarner et d’exprimer la marque, dans un contexte festif et populaire ».
Comment vivez-vous le fait de ne pas avoir pu vous associer aux Jeux de Paris 2024 ?
M.B. : « C’est vrai. Nous avions exprimé un intérêt sur ce dossier. Puis, pour des raisons que je ne commenterai pas, nous n’avons pas donné suite . Avec du recul, et indépendamment de l’extraordinaire succès de ces JOP, ce fut une bonne chose. Cela nous a décidé à devenir partenaire de la Coupe du Monde de rugby France 2023 avec l’héritage que vous connaissez. Il y avait là davantage la dimension territoriale et cela a créé une adhésion très forte en interne avec une grande fierté pour nos collaborateurs ».
Est-il possible de voir TotalEnergies investir dans le football en dehors de l’Afrique ?
M.B. : « Nous regardons les propositions que l’on nous présente, mais le football reste un sport cher et sponsoriser un club ne fait pas partie de notre stratégie car c’est souvent clivant. Nous sommes fiers de nos partenariats en Afrique. Ils répondent à des enjeux importants de notoriété. Grâce au naming de la “TotalEnergies CAF CAN”, 50% de la population africaine a appris le changement de nom de notre compagnie ».
Etes-vous sollicités par les acteurs du sport ?
M.B. : « Nous sommes sollicités à tous les niveaux. Cela va des agences qui commercialisent les droits de l’UEFA Champions League jusqu’au championnat du monde… de tondeuses à gazon ! Nos choix doivent répondre à des enjeux business, de communication et d’image. Nous allons chercher de la notoriété, de la visibilité et de l’installation de marque. Il s’agit d’une stratégie globale puisqu’en complément nous devons aussi investir dans en publicité et “brand content” pour expliquer nos activités afin d’obtenir une notoriété qualifiée et faire que le grand public comprenne que TotalEnergies est désormais une compagnie multi-énergies ».
Il y a-t-il des sports dans lesquels n’ira pas TotalEnergies ?
M.B. : « Nous n’investissons pas dans la voile ou dans les sports de combat. Nous refusons également, comme je le disais précédemment, d’associer TotalEnergies aux sports mécaniques qui utilisent des carburants fossiles ».
Arrivez-vous à quantifier et qualifier le retour sur investissement ?
M.B. : « Ce n’est jamais évident, la mesure est un exercice complexe. Qui est capable de dire si 30 secondes de visibilité de notre logo sur le cuissard d’un coureur durant le Tour de France sont aussi performantes ou impactantes qu’un spot publicitaire de 20 secondes ? Néanmoins, c’est en monitorant les estimations de valorisation média et surtout tous les bénéfices d’image et de relations avec nos parties prenantes, que nous prenons nos décisions de poursuite ou d’arrêt d’un partenariat ».
Que répondez-vous aux associations dénonçant du sportwashing de la part de TotalEnergies ?
M.B. : « Je ne comprends pas vraiment. Notre enjeu est de faire connaître et comprendre la marque TotalEnergies, qui incarne dans son nom et son identité la stratégie multi-énergies de l’entreprise. En complément des dispositifs de publicité, où nous agissons dans le strict respect des législations, nous utilisons cet autre moyen de communication qu’est le sponsoring sportif pour ses bénéfices attendus de notoriété, et d’association à l’émotion positive du sport. Je ne vois pas en quoi notre présence sur les maillots d’une équipe de rugby, de vélo, ou le naming d’une compétition de foot, seraient du “sportwashing” »
La campagne de Greenpeace lors de la Coupe du Monde de rugby ou les actions des associations à votre encontre peuvent-elles vous décourager ?
M.B. : « Nous regardons ces actions avec attention, mais il faut en relativiser la portée et ne pas tomber dans la psychose. Je peux vous donner un ressenti sur le terrain : sur les routes du Tour de France, notre équipe et notre caravane publicitaire portent la marque TotalEnergies et l’accueil des 13 millions de spectateurs est toujours positif et enthousiaste. On entend une ou deux petites piques par étape sur le prix des carburants ou la facture d’électricité, mais c’est infime par rapport au soutien que nous recevons pendant 3 500 kilomètres chaque été ».
Votre consultation d’agences comporte un levier RSE. Pourquoi ?
M.B. : « Nous voulons avoir une démarche structurée et cohérente. Nous sommes une société multi-énergies et en transition. Nous souhaitons synchroniser notre action sur tous les sports que nous accompagnons. Nous voulons parler de sport pour tous, en particulier pour l’intégration des jeunes et pour les personnes en situation de handicap ».
Entretien : Titouan Laurent
© SportBusiness.Club Septembre 2024