« Le trail est encore plus contagieux que le Covid ! » Sans porter de masque, Mathieu Blanchard enchaîne les punchlines sur la scène du Mile & Stone Connect à Annecy (Haute-Savoie), un événement annuel dédié aux professionnels de l’écosystème du trail qui s’est tenu mardi 25 mars 2025. Loin des sentiers montagnards où il brille à l’accoutumée, l’ultratraileur français, casquette sur la tête et lunettes de soleil sur le nez, rayonne micro en main. Vêtu d’un tee-shirt mauve siglé Salomon, dont il est l’ambassadeur phare, le natif de Cavaillon (Vaucluse) est conscient de la voie “business” dans laquelle s’est engagée sa discipline depuis plusieurs mois.
« On parle maintenant de contrat de sponsoring à sept chiffres pour moi… Non, plutôt à six, pardon ! » lance-t-il sur scène en jetant un regard amusé à son agent. « Sept chiffres, c’est pour bientôt, j’espère, » ajoute-t-il avec un grain de malice. Suivi par plus d’un demi-million de personnes sur les réseaux sociaux, à qui il tente de transmettre le virus du trail, Mathieu Blanchard est sous contrat avec plusieurs marques. Celles-ci sont essentiellement endémiques à l’univers du trail et de l’outdoor : Salomon, I-Run, Naäk, Garmin, Shokz ou encore Finisher. Mais la donne serait en train de changer : l’athlète a signé fin 2024 un accord avec le fournisseur d’énergie verte Ilek.
La chasse au greenwashing
« Désormais, je suis contacté par des marques non liées à l’univers du trail et avec de très gros budgets marketing, » confie t-il à SportBusiness.Club quelques minutes plus tard. « Je suis très regardant sur les entreprises auxquelles je m’associe, poursuit-il. J’ai des problèmes de riche maintenant. Je reçois de nombreuses sollicitations commerciales pour être associé à mon image, au trail et à mes projets. Entre le premier rendez-vous et la signature d’un contrat de sponsoring il peut se passer plusieurs mois. J’ai besoin de mettre au défi les entreprises qui pourraient être amenées à m’accompagner. »
Puissant sur les réseaux sociaux et porteur de valeurs recherchées comme le dépassement de soi, le respect de l’environnement et l’aventure, l’athlète français a conscience de son attractivité marketing pour des marques plus ou moins bien intentionnées. « On voit souvent de belles valeurs affichées sur les sites web mais cela ne me suffit pas, affirme t-il avec conviction. Les marques qui me contactent aujourd’hui sont des banques, des assurances, des fournisseurs d’énergies ou de services et ne s’intéressaient absolument pas au trail il y a de cela quelques mois ou années. Je veux être certain qu’elles soient à mes côtés pour de bonnes raisons et non pour des intérêts publicitaires, marketing ou pire encore de greenwashing. »
Cette stratégie marketing peut effectivement permettre d’améliorer l’image d’une entreprise polluante. Quelques accords de sponsoring ont été récemment vivement critiqués. Le circuit UTMB World Series en Europe s’était en effet associé au constructeur automobile roumain Dacia. Face à l’émoi de traileurs phares, dont la star du secteur, l’Espagnol Kilian Jornet, ce contrat de sponsoring avait été balayé d’un revers de main et remplacé par un « deal » moins polémique avec Hoka.
Nouveau terrain de jeu pour les agents
Pour éviter ce genre de mésaventure, Mathieu Blanchard est accompagné par l’agence Fraich’Touch dont la mission est de représenter l’intérêt d’athlètes et de talents comme la navigatrice Violette Dorange ou le journaliste Hugo Clément, d’ailleurs très proche de l’ultratraileur. « Dans l’univers du trail, 2024 a été l’année de la bascule sur le plan marketing, reconnait Goulven Cornec, en charge de l’image de l’athlète français. Nous avons observé un afflux massif financier de marques non endémiques au trail. Je peux vous donner l’exemple d’un grand fournisseur d’énergie dont le nom commence par “T” qui souhaitait investir le trail. J’ai déconseillé mes athlètes de signer avec, car la démarche n’était pas aboutie. Nous nous sommes assis sur beaucoup d’argent. Mais c’était le bon choix. »
Marine Noret, fondatrice de l’agence de gestion d’image One More Mile, exerce aussi une partie de son activité auprès d’athlètes traileurs. « Pas besoin d’être une vedette pour avoir un agent, assure-t-elle. Mon travail est de protéger l’intérêt de mes clients et leur éviter de signer n’importe quoi. Ils ne doivent pas être lésés par de mauvais contrats ou trop d’intermédiaires. C’est une discipline jeune et qui a besoin de se professionnaliser.» Ce travail d’agent a un prix : il est facturé aux athlètes par 20% de commission en moyenne sur les contrats de sponsoring.
Loin du sommet
Sans les accords commerciaux négociés par son agent, Mathieu Blanchard ne pourrait assumer seul le coût de tous ses projets. « Ils sont de grandes envergures, tant sur le plan sportif que sur l’aventure, revendique-t-il fièrement. J’imagine des films, des livres, des concepts… Cela demande beaucoup de moyens financiers et humains. Je ne pourrais pas le faire avec mes fonds propres. Quand je m’associe à des marques, je veux qu’elles soient capables de suivre mon niveau d’ambition.»
Le trail reste tout de même une discipline confidentielle. La lisibilité complexe du calendrier couplée à une médiatisation modeste liée à un manque de retransmission télévisée ne facilitent pas son développement. « Le trail doit s’inspirer de la voile, affirme Hervé Favre, Président d’OC Sport, présent au même colloque. Il faut s’écarter de l’univers du trail pour attirer une cible plus large. L’enjeu est de sortir de la performance pour faire rêver les gens et raconter des histoires comme le fait Mathieu Blanchard.»
Dans ce contexte, certains annonceurs ne voient aucun intérêt de s’associer au trail. « J’ai déjeuné avec des dirigeants de BNP Paribas récemment pour discuter du trail, raconte Goulven Cornec. Ils ne savaient même pas de quoi je leur parlais. Puis ils m’ont rappelé qu’ils étaient associés au tennis et Roland-Garros depuis de nombreuses années et que cela leur permettait de générer des milliards d’impression. Le trail en est à ses balbutiements. Il faut que les médias en parlent davantage pour accompagner son développement ».
Croître en restant vert
Pour poursuivre son ascension, le trail doit veiller à chérir son terrain de jeu. En 2024, plus d’un million de personnes ont franchi la ligne d’arrivée d’une course selon le Baromètre Finisher Athlé publié par la Fédération Française d’Athlétisme (FFA). Ce chiffre record symbolise l’attractivité de la discipline mais inquiète les collectivités désireuses de protéger la faune et la flore. Les organisateurs de courses redoublent de vigilance et proposent des initiatives pour prôner les bonnes pratiques. Dans le même temps, les équipementiers vendent toujours plus de chaussures tout en communiquant sur la durabilité et la circularité de leur produit.
« Le sujet de l’écologie est majeur dans le trail, affirme Mathieu Blanchard. C’est même le sujet le plus important pour les sports natures. Il faut regarder toute l’équation. Cela va des transports, au matériel en passant par l’alimentation. Je suis un athlète professionnel international et les courses majeures sont à l’étranger. Il y a quelques années, je faisais une quinzaine de voyages par an. J’avais une conscience écologique différente. Aujourd’hui je me limite à un ou deux voyages dans l’année et quand j’y vais, j’y reste plusieurs mois. Je suis pour la valorisation de chaque effort et de tout le monde. »
L’écosystème du trail en est convaincu : la discipline va poursuivre son ascension en France en 2025. Plus de 4 000 courses sont organisées en France et les demandes de dossards continuent d’exploser. Au premier trimestre 2025, leur prix a augmenté de 6%. Une hausse qui, tout de même, se tasse par rapport aux deux années précédentes rappelle Maxime Delaporte, co-fondateur de la plateforme Miles Republic. Qu’importe, l’épidémie semble bel et bien se propager et Mathieu Blanchard n’a pas l’intention de sortir de vaccin.
Titouan Laurent, envoyé spécial à Annecy (Haute-Savoie)
© SportBusiness.Club Mars 2025