Interview. Pierre-Yves Gerbeau, président de la Fédération française de hockey-sur-glace, aborde une saison déterminante pour son sport. L’augmentation continue de la fréquentation des patinoires et la montée en puissance de la Ligue Magnus traduisent une dynamique positive. Mais pour franchir un cap, le hockey français doit séduire de nouveaux partenaires privés et bâtir un modèle économique plus solide. Les grands rendez-vous à venir – Jeux olympiques de Milan-Cortina 2026, Mondial masculin à Paris et Lyon en 2028, puis Jeux d’hiver des Alpes 2030 – sont autant d’opportunités qu’il faudra exploiter.
À la tête de la fédération, l’ancien dirigeant d’Euro Disney insiste sur le rôle moteur des clubs et de la structuration du marketing local. Mais il pointe aussi les fragilités du système : le désengagement de l’État, la précarité du hockey féminin et la concurrence internationale. Pierre-Yves Gerbeau critique notamment la NHL, accusée de ne pas soutenir le développement du hockey en Europe et de privilégier ses propres compétitions, au détriment des championnats du monde et des fédérations nationales. Un risque majeur alors que la France prépare son Mondial 2028, estimé à 22 millions d’euros de budget.
Comment se présente cette nouvelle saison ?
Pierre-Yves Gerbeau : « Notre objectif est de poursuivre la dynamique engagée ces dernières années. Depuis près de quatre ans, nous enregistrons une hausse de 20% de la fréquentation dans nos patinoires. C’est essentiel pour l’équilibre économique des clubs. L’été dernier, les matchs amicaux ont battu des records d’affluence. C’est un excellent signal pour la saison qui s’ouvre. »
Comment expliquez-vous cette croissance ?
P.-Y.G. : « Je pourrais dire que c’est le fruit du travail de la fédération (rires). Plus sérieusement, je ne sais pas trop. Comme beaucoup d’autres sports, nous avons connu une période critique à cause de la pandémie de Covid. Nos clubs ont alors joué un rôle clé : ils ont multiplié les initiatives pour maintenir le lien avec leurs licenciés. Malgré cela, une génération s’est perdue. Depuis, la tendance est redevenue positive. La structuration et la professionnalisation des clubs y sont aussi pour beaucoup. Chaque structure a aujourd’hui un responsable marketing qui connaît de mieux en mieux ses publics et parvient à les fidéliser. Un autre facteur joue en notre faveur : la dimension spectaculaire de notre discipline. Je connais peu de gens déçus après avoir assisté à leur premier match. Le hockey sur glace est un sport visuellement fort, rythmé, qui séduit. Enfin, notre Ligue est arrivée à maturité. Elle offre une vraie compétition : aucune équipe ne peut dominer outrageusement et, la saison dernière, les phases finales ont réservé de belles surprises. »
C’est également la deuxième saison avec votre propre diffuseur, Sportway. Quel bilan tirez-vous de cette première expérience ?
P.-Y.G. : « Nous étions convaincus que l’avenir passait par l’OTT, mais en réalité c’est déjà le présent. Sportway nous a permis de franchir un cap. Et il faut rendre hommage aux clubs : ils ont fait un travail remarquable pour s’adapter à ce modèle et produire des contenus de qualité. Pour nous, à la fédération, c’est une étape indispensable dans la perspective de nos grands rendez-vous : les Jeux olympiques de Milan-Cortina 2026, le Mondial masculin à Paris et Lyon en 2028, puis les Jeux d’hiver des Alpes 2030. Ces échéances imposent que nous progressions et que nous soyons capables d’attirer de nouveaux partenaires. »
Cela suppose de renforcer votre socle financier ?
P.-Y.G. : « Oui, mais le sujet ne concerne pas uniquement notre fédération. Le problème touche tout le sport français : le désengagement de l’État est massif. Le hockey, comme le ski ou les sports de glace, bénéficie malgré tout d’un contexte particulier avec la perspective des Jeux 2030. L’Agence Nationale du Sport (ANS) nous soutient dans ce cadre. Mais je rappelle que le budget des Sports représente 0,1% du budget national. L’arrivée d’Amélie Oudéa-Castéra à la présidence du CNOSF est une bonne nouvelle. Elle connaît bien les dossiers et défend activement le sport face à un État qui considère trop souvent ce secteur comme une variable d’ajustement budgétaire. Les promesses de l’héritage de Paris 2024 n’ont pas été tenues. Cela devient même caricatural. »
Dans ce contexte, séduire le secteur privé devient-il essentiel ?
P.-Y.G. : « Absolument. Nous avons recruté un directeur marketing et nous travaillons avec une nouvelle agence, Agon, jeune structure ambitieuse et dynamique. C’est un pari que nous faisons, mais nous disposons d’atouts solides : deux Jeux olympiques, dont un en France, et un Mondial en 2028. Cela doit convaincre des entreprises qui n’auraient jamais imaginé s’intéresser à notre sport. L’un de nos objectifs à moyen terme est aussi de mieux accompagner nos joueuses. Aujourd’hui, 100% de nos internationales évoluant à l’étranger vivent très difficilement de leur sport. Nous aimerions, comme cela se fait dans le rugby de l’hémisphère sud, que la fédération puisse prendre en charge une partie des salaires. C’est une ambition réaliste. »
Mais avez-vous réellement les moyens financiers pour soutenir ces projets ?
P.-Y.G. : « Nous devons les trouver. C’est tout l’enjeu des grands rendez-vous que nous allons accueillir en France. Ils doivent nous permettre de séduire de nouveaux acteurs économiques. La féminisation du hockey est aussi un atout, car de nombreuses marques cherchent aujourd’hui à s’associer à des projets qui portent des valeurs de mixité et d’égalité. »
Le contrat avec votre partenaire titre de Ligue Magnus, Synerglace, se termine à la fin de la saison. Des discussions sont-elles en cours pour le prolonger ?
P.-Y.G. : « Synerglace est un partenaire historique. Ils ont toujours été présents, même quand l’équipe de France est descendue de l’élite mondiale. Nous avons grandi ensemble et nous entretenons une relation de confiance. Si demain un partenaire d’envergure nationale venait s’associer à la Ligue Magnus, Synerglace resterait à nos côtés, sous une autre forme. Leur intérêt, comme le nôtre, est que le hockey-sur-glace continue de se développer. »
En février 2026, les équipes de France, masculine et féminine, seront aux Jeux olympiques de Milan-Cortina. Quels sont vos objectifs sportifs ?
P.-Y.G. : « J’attends du spectacle et, pourquoi pas, des exploits. Nous connaissons toutes les nations qualifiées : nous les avons affrontées. Chez les hommes, la compétition sera particulièrement relevée car la NHL va libérer ses joueurs. Les meilleurs mondiaux seront présents. Dans ce contexte, l’objectif de nos équipes sera surtout de défendre nos couleurs, d’incarner les valeurs françaises et de proposer un jeu séduisant. »
Peut-on espérer davantage de joueurs français en NHL à l’avenir ?
P.-Y.G. : « Bien sûr. Aujourd’hui, il ne reste qu’Alexandre Texier, qui évolue à Saint-Louis. Notre capitaine Pierre-Édouard Bellemare a quitté la NHL pour poursuivre sa carrière en Suisse, afin d’être disponible pour les Jeux. Pour cette génération, disputer les Jeux olympiques est une véritable récompense. La France n’y avait plus participé depuis 2002. Nous nous sommes battus comme des chiens (sic) pour que nos deux équipes soient repêchées. »
La NHL s’implique-t-elle en Europe comme peuvent le faire la NBA ou la NFL ?
P.-Y.G. : « Non. La NHL n’est pas un allié de l’Europe. Prenons 2028 : nous organisons le Mondial en France et, quatre mois avant, la NHL arrive en Europe avec une compétition à l’américaine impliquant quatre nations qu’ils appellent Coupe du monde. Ce n’est pas de l’aide, c’est de l’hégémonie active. La NBA a construit avec la Fédération française de basket, un projet commun pour développer nos talents. Nous serions partants pour cela. Pour avoir plus de joueurs français en NHL. Mais si leur objectif est de réaliser une OPA sur le seul produit rentable de la Fédération internationale, le Mondial, ce n’est pas acceptable. Pour nous, ce Mondial est un pari colossal : son budget est de 22 millions d’euros, soit le double de l’édition 2017. Le mettre en danger serait catastrophique. »
Le fait qu’un Français, Luc Tardif, préside la Fédération internationale n’est-il pas un atout ?
P.-Y.G. : « Luc Tardif défend l’intérêt général du hockey-sur-glace mondial. Or, ce n’est pas la NHL qui développe les joueurs. Je ne critique pas : c’est une ligue privée, tournée vers le profit de ses actionnaires. Mais, prendre soin de son voisin et vérifier que ça va pas mettre en danger justement le développement international de notre discipline, c’est bien aussi. Je ne trouve cela pas très clean ».
Entretien : Bruno Fraioli
© SportBusiness.Club – Septembre 2025
En résumé
Le président de la Fédération française de hockey-sur-glace détaille les enjeux économiques et sportifs à l’approche de grandes échéances internationales.