Thomas Jolly honoré d’un Molière pour son travail artistique à Paris 2024
Culture. Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, a reçu un Molière d’honneur lors de la 36ᵉ cérémonie des Molières. L’événement s’est déroulé lundi 28 avril 2025 aux Folies Bergère, à Paris (75).
Le trophée lui a été remis par la journaliste Fabienne Pascaud. « Tu es capable de tout, a-t-elle déclaré. Chaque spectacle de Thomas Jolly est une fête. Il n’a pas peur d’être populaire », a-t-elle ajouté. Lors de son discours de remerciement, Thomas Jolly a défendu la culture et rappelé son engagement pour une vision artistique forte dans les cérémonies olympiques. Son intervention, saluée par une standing ovation, a marqué la soirée.
Discours de Thomas Jolly à la Cérémonie des Molière le 28 avril 2025
Je voudrais que tout l’honneur contenu dans ce Molière aille au théâtre, et plus largement au spectacle vivant à celles et à ceux qui ont fondé, perpétué et qui défendent ce service public de la culture. Car, si Thierry Reboul et Tony Estanguet, à qui j’adresse ma gratitude éternelle, m’ont choisi et invité à endosser ce rôle de directeur artistique des cérémonies olympiques et paralympiques, c’est parce que, d’abord (…) je suis entré dans une option théâtre dans un lycée. Que mes professeurs, et tous les professeurs qui œuvrent avec tous les artistes, dans toutes les options, soient remerciés.
Aujourd’hui, ces options sont fragilisées. Et pourtant, il y a tant d’adolescents pour qui le théâtre est un outil salvateur, comme il l’a été pour moi. Et qui sait, il y a peut-être dans une de ces options, notre futur ministre de la Culture ou bien, peut-être, la future directrice artistique des J.O. de 2054.
Ensuite, c’est parce que j’ai bénéficié d’un incroyable parcours de formation gratuit, jusqu’à l’École nationale du TNB (Théâtre National de Bretagne). (…). Et puis c’est la rencontre avec mes frères et sœurs de théâtre, cette “picola familia” à qui je pense avec beaucoup d’émotion ce soir (…). Ceux avec qui je vais vivre dès 2026, une aventure théâtrale exceptionnelle. Ce sera avec des partenaires publics, des villes, des régions, des départements, l’Etat, des lieux labellisés. Ils vont soutenir notre travail et nous permettre de délivrer au public, depuis les places de marché jusqu’à la cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon, la puissance et la force des poètes.
C’est aussi grâce à cette extraordinaire politique culturelle qu’un jour Paris 2024 va, et j’en ai été le premier surpris, choisir un acteur et un metteur en scène de théâtre pour orchestrer le plus grand spectacle du monde (Applaudissements). Cela tombe bien parce que le théâtre et l’olympique sont cousins. Ils sont nés dans le berceau de la démocratie.
Le théâtre est un outil essentiel pour faire Société. Depuis l’antiquité, il nous tend un miroir qui nous réfléchit. En tant qu’artiste j’ai choisi de mettre en scène des œuvres qui sont comme des veilleuses. Plus l’ombre est noire, plus ces œuvres doivent briller. Pas pour dire au public “pensez ceci ou pensez cela”, (…) mais simplement : “Qu’en pensez-vous ?”.
Vous assistez à Richard III de Shakespeare. Voici un homme qui va user de fausses informations de rumeurs qui déstabilisent l’opinion, qui va enjoliver son image et qui finalement va s’asseoir sur le trône. Qu’en pensez-vous ?
Vous êtes devant Starmania. Voici un homme, encore, milliardaire, qui se fait construire la plus haute tour de l’occident et qui, en alimentant la violence dans la cité, va petit à petit représenter la solution aux yeux du peuple qui va l’élire. Qu’en pensez-vous ?
Dans Thyeste, Sénèque fait dire au Tyran Atrée : “Faire vouloir au peuple ce qu’il ne veut pas, voilà la vraie puissance”. Qu’en pensez-vous ?
Si les œuvres de théâtre ont un pouvoir certain, leurs voix semblent bien faibles dans le brouhaha des polarisations. Les cérémonies olympiques et paralympiques étaient quatre occasions de parler plus fort et de démontrer le pouvoir émancipateur du spectacle vivant.
Avec mon équipe, les auteurs et autrices Fanny Herrero, Leïla Slimani, Damien Gabriac et Patrick Boucheron, les collaborateurs et collaboratrices artistiques, Maud Le Pladec, Daphnée Bürki, Emmanuelle Favre et Bruno de Lavenère, Victor Le Masne, nous élaborons un spectacle qui célébrera le “grand Nous”. Nous exposerons ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise. Nous entremêlerons les cultures, les genres, les générations, les esthétiques, pour démontrer que ces alliages sont possibles, crée de la beauté, de la poésie. Que l’opéra et le métal peuvent dialoguer. (…) Qu’Aya Nakamura et la Garde Républicaine peuvent se rencontrer et danser ensemble avec le fantôme de Charles Aznavour. Que la danse classique, l’électro, le le waacking et les danses traditionnelles peuvent partager la même musique.
Nous montrerons la France telle qu’elle existe : belle et bien. Et je le répète à l’envie : est belle et elle est bien. Nous verrons si le spectacle vivant a encore le pouvoir qui l’a fondé, c’est-à-dire unifier la cité.
Le soir du 26 juillet…il pleut ! (C’est mon deuxième succès de l’année). C’est comme un dernier empêchement à délivrer ce spectacle. Mais le bleu, le blanc, le rouge éclatent sur le pont d’Austerlitz et tous les artistes, toutes les équipes techniques se réorganisent en direct pour célébrer notre humanité partagée. A ces 20 000 personnes qui ont œuvré ce soir-là, j’envoie 20 000 très chaleureux mercis.
Et nous avons vu un pays se reconsidérer en 3 h 30. Et nous avons vu qu’en célébrant les singularités, nous parvenions à l’unité. Nous avons constaté la richesse de nos diversités. J’ai beaucoup entendu le mot de fierté. Même de la bouche de celles et ceux qui n’imaginaient pas à pouvoir l’être de leur pays.
24,5 millions de personnes la regardent à travers leurs écrans, ce qui fait de la cérémonie d’ouverture, un spectacle vivant, le programme télévisé le plus regardé de l’histoire de la télévision française. (Applaudissements) Au lendemain de la cérémonie, 86% des Français, l’estime réussie.
La cérémonie coupe court au discours de division. Une majorité de Français expriment joyeusement leur aspiration à bien vivre ensemble. Le spectacle vivant portait à cette échelle à démontrer son pouvoir émancipateur pour le plus grand nombre : pour le singulier et le commun, pour l’individu et le collectif.
Mais ne soyons pas aveugles. Très vite, le soir même de la cérémonie et dans les semaines qui ont suivi, de nombreux et violents contre-feux ont été allumés et coordonnés. La liberté de création est prise pour cible depuis la rentrée. Dans certains territoires, la culture ne semble plus être une priorité. Pourtant, chaque jour, une ombre s’épaissit sur notre humanité partagée.
J’ai beaucoup repensé à cette phrase de Martin Luther King : « Ceux qui aiment la paix doivent apprendre à s’organiser aussi efficacement que ceux qui aiment la guerre. »
Aux artistes et aux techniciens et techniciennes, du privé comme du public, déjà déployés sur tout le territoire ; Aux spectateurs et spectatrices qui viennent en nombre, avec curiosité et enthousiasme ; Aux responsables politiques qui croient plus que jamais au spectacle vivant comme levier pour faire société : Organisons-nous !
Soyons prêts à en découdre. Mais surtout – comme ces cérémonies l’ont montré – à recoudre, à nous recoudre.