Exclusif. Cheville ouvrière du Comité International Olympique (CIO), Christophe Dubi, attend avec impatience la cérémonie d’ouverture de Paris 2024, dont il connait déjà quelques détails artistiques. Le “Plan B” n’est pas un retour de l’événement au Stade de France, a assuré le dirigeant à notre envoyé spécial, le dernier représentant des médias français en Corée du Sud aux Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) de Gangwon 2024.
Installé dans le lobby de l’hôtel officiel du CIO, le Skybay Hotel Gyeongpo, à Gangneung, un établissement 5 étoiles, Christophe Dubi a, durant une petite heure de cette interview exclusive accordée à SportBusiness.Club, assuré qu’il savourait cette 4e édition des JOJ d’hiver où quelques innovations ont été mises en place. Le Suisse suit de près le dossier de candidature des Alpes françaises pour les Jeux olympiques d’hiver de 2030. Il estime aussi que les Français sont trop critiques vis-à-vis d’eux-mêmes : “Il y a pourtant un génie en France que vous ne voyez plus”, affirme-t-il.
Comment vivez-vous ces 4e JOJ, ici en Corée du Sud ?
Christophe Dubi : « Ces Jeux de 2024 ont permis de redynamiser une nouvelle fois cette province et le sport coréen, qui a beaucoup investi à la fois dans ses athlètes les plus jeunes et dans ses installations. Et puis il y a ce “Dream Program”, programme de rêve, lancé en 2004 et qui porte ses fruits puisque 14 athlètes de différents pays y ayant participé se sont qualifiés pour ces Jeux avec notamment des médailles pour la Tunisie ou la Thaïlande. Nous avons remercié les autorités aussi, parce que des Jeux de la jeunesse, c’est moins attractif commercialement que les Jeux olympiques mais ils ont fait le job ».
Comme pour les Jeux olympiques, les sponsors ne sont pas très visibles. Est-ce une volonté ?
C.D. : « C’est effectivement comme lors des Jeux Olympiques, où les sponsors n’ont pas de visibilité en dehors de celle qu’ils achètent, puisque les sites, aujourd’hui, que ce soit ici ou pour les Jeux de Paris ne mettent pas en valeur nos partenaires. Ce qui est du reste assez compliqué. C’est un modèle qui est formidable parce qu’on crée un environnement qui est réellement différent. C’est ce qui fait également la valeur des Jeux olympiques. Il n’y a pas d’exposition hormis dans les espaces média que les sponsors achètent ou alors des lieux d’hospitalité ou les fan zones qui sont en dehors des sites officiels. Ici, sur un budget opérationnel de 45 à 50 millions de dollars, la part des sponsors s’élève à un peu plus de cinq millions de dollars. Ce n’est pas négligeable. Et n’oublions pas la contribution du mouvement olympique de plus de 20 millions de dollars. Entre la prise en charge des athlètes et de la logistique sans oublier le numérique et la télévision. Tout cela est pris en charge par le CIO ».
Les JOJ permettent de tester de nouvelles disciplines et épreuves. Pourquoi n’y en t-il pas beaucoup cette fois-ci ?
C.D. : « Il y en a quelques-unes, de-ci de-là, mais c’est vrai que nous sommes arrivés à une sorte de stabilité dans le programme. Je dirais qu’il y en a deux avec le chaudron virtuel et le métavers. La Corée est un pays à la pointe en matière de tech, en particulier. Avec le métavers, il y a plusieurs développements que l’on envisage dans le futur. Ils sont très forts dans le virtuel comme on peut le voir au Musée olympique de PyeongChang. Et puis, ici, on part sur autre chose comme une consommation virtuelle des objets ».
Est-il prévu de changer un peu la dimension de ces Jeux de la jeunesse en termes d’athlètes et d’épreuves ?
C.D. : « Non pas vraiment. On avait essayé à Lausanne de diviser les compétitions en deux vagues afin d’optimiser les infrastructures et notamment le Village, mais la transition sur deux jours a été effroyablement tendue en matière de transport. Là on voit que les athlètes ont étalé leurs arrivées et leurs départs en fonction des compétitions. Cela permet de lisser la pression sur le village olympique dans la durée ».
Aucune ville n’est désignée pour les JOJ d’hiver de 2028, alors que Gangwon avait déjà été choisi il y a 4 ans. Quelle en est la raison ?
C.D. : « Il y a l’Italie qui s’est déclarée mais d’autres pays sont également intéressés : ils sont présents ici en tant qu’observateurs. Tous se disent que c’est quand même vachement bien. Selon les statistiques d’aujourd’hui, que vous avez peut-être vu, c’est un véritable succès populaire. De nombreuses compétitions se disputent devant 7 000 ou 8 000 spectateurs et les retombées médiatiques sont très importantes sur le plan local. Donc, on se donne le temps comme pour l’attribution des Jeux d’hiver de 2030. On sait qu’on va aller dans un pays qui sait faire, avec des organisateurs qui auront la compétence et les infrastructures. Il n’y a pas besoin de cinq ans pour organiser des JOJ. Finalement, et c’est ce que l’on voit pour “France 2030” (sic). Une année de moins. C’est aussi un gage de dépenser un tout petit peu moins. Ça fait toujours une différence au bout du fil ».
En 2018, on parlait de “PyeongChang”, et maintenant c’est la “province de Gangwon”. En 1992, c’était “Albertville” maintenant on parle des “Alpes françaises 2030”. Le concept de ville hôte a-t-il disparu ?
C.D. : « Oui, on peut dire ça. En 2014, nous avons changé profondément les règles. Cela a permis effectivement l’émergence de projets régionaux, en particulier pour les Jeux d’hiver. Même si pour Brisbane 2032 [Australie], il y a aussi un projet avec les régions de “Gold Coast” et “Sunshine Coast”. C’est clair qu’il y a de la flexibilité. Pour 2038, ce pourrait être la Suisse en tant qu’Etat. Je ne sais pas quel sera finalement le nom choisi pour 2030. Je ne sais pas, personne ne le sait pour l’instant. Ce sera celui qui permettra de mettre en valeur ce projet et de servir les intérêts à long terme de ces deux régions ».
Dans le projet français pour 2030, il y a notamment le problème l’anneau de patinage de vitesse. Est-il envisageable d’utiliser un équipement en dehors de la France ?
C.D. : « Absolument. Nous avons confirmé la possibilité d’organiser une compétition à l’étranger, ça c’est clair. Nous avons également fourni toute la documentation que nous avons à ce jour pour un anneau temporaire. Ce sera le cas en Italie en 2026 à la Fiera de Milan. Il faut avoir le plus de choix possible, le plus d’opportunités pour, au final, trouver la solution qui va bien. Il faut que ça soit réellement quelque chose porté par les futurs organisateurs. Avec une solution, la plus parfaite et la plus pertinente. Je me demande aussi s’il n’est pas possible d’utiliser un anneau en plein air même si pour l’instant c’est en contradiction avec les règles de la fédération internationale. Il est très difficile de réutiliser un anneau de vitesse couvert ».
En France, Jean-Claude Killy est monté au créneau pour défendre le site de Val d’Isère dans le dossier français, plutôt que Courchevel...
C.D. : « Oui en effet, Val d’Isère a constitué un dossier qui devrait être étudié très prochainement dans le cadre du plan directeur que l’on attend avant la fin du mois de mars. Celui-ci devra établir le positionnement de l’anneau de vitesse mais aussi celui de tous les autres sites. On recherchera des garanties sur le réseau des bus, sur l’utilisation optimale des sites. Nous, on pousse pour qu’il y ait des pôles permettant de regrouper les grandes fonctions opérationnelles. Quand on multiplie les sites, on multiplie les coûts. L’impact budgétaire, ça a aussi un impact sur l’expérience des athlètes. Maintenant, le choix de ces pôles ne nous appartient pas. Ce que l’on ne veut pas : c’est ce que l’on voyait dans le projet suisse avec une multiplication des lieux de compétition: le saut à ski sur deux sites, le hockey-sur-glace sur trois… c’est tout ce que l’on veut éviter. Le modèle économique, c’est l’utilisation d’un site au maximum par discipline. La mise en place de gradins temporaires, de la sécurité, de bus circulant d’un point à l’autre ça coûte de l’énergie et des moyens supplémentaires ».
Les Jeux de Paris sont maintenant dans moins de six mois. Le CIO a-t-il été surpris et enthousiaste quand la proposition d’une cérémonie d’ouverture sur la Seine lui est parvenue ?
C.D. : « Nous avons été surpris, enthousiasmé… et depuis, bouleversés par l’intelligence et la profondeur de cette cérémonie. Les gens impliqués dans ce projet, à commencer par Thomas Jolly [Directeur artistique], font un travail réellement exceptionnel pour mettre en valeur tout ce que la France a représenté, et représente aujourd’hui, et comment on peut se projeter dans le futur. C’est vraiment quelque chose d’une finesse et d’une puissance extraordinaire. Nous sommes repartis avec les yeux qui brillaient et ils brillent encore plus en connaissant un petit peu le déroulement de cette cérémonie. J’ai la chair de poule, rien que d’y penser ».
Nous sommes entre nous : vous avez bien un ou deux petits secrets à nous dévoiler…
C.D. : « Non. Même sous la torture, je ne dirai rien ».
Pour cette cérémonie, il est quand même question d’un “Plan B” si se posent des questions en matière de sécurité. Serait-ce alors un retour au Stade de France ?
C.D. : « La personne la plus habilitée à expliciter ce plan, c’est le délégué interministériel des Jeux, Michel Cadot. Lui, a été très clair : le seul plan B, c’est la réduction de la jauge des spectateurs. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le scénario d’une cérémonie, les moyens à mettre en œuvre, c’est extrêmement complexe. Ça se joue à la seconde près. C’est une intégration de tous les acteurs. Cela va de la sécurité jusqu’aux artistes qui sont en train de répéter. C’est comme une grosse production hollywoodienne quand on voit défiler au générique la liste interminable de tous ceux qui ont contribué à un film. Une cérémonie d’ouverture, c’est du même ordre… sauf que c’est en live et que l’audience ce soir-là sera probablement de plus d’un milliard de téléspectateurs. On parle de quelque chose de magnifique. De complexe et sophistiqué à la fois ».
En France, il y a encore aujourd’hui un certain nombre de mouvements sociaux, notamment actuellement des agriculteurs. Cela vous inquiète-t-il ?
C.D. : « Je connais un peu mieux les institutions françaises, et les acteurs qui font la France d’aujourd’hui, les médias mais aussi les hauts fonctionnaires avec lesquels nous travaillons, comme avec les compagnies françaises qui excellent dans leurs domaines, les organisateurs, le monde du sport… Je trouve, mais ça, c’est le Suisse qui parle, que vous êtes toujours très critiques vis-à-vis de vous-même. Il y a pourtant un génie en France que vous ne voyez plus. Je prends l’exemple de Michel Cadot. Quand ce dernier rédige son rapport sur les incidents du Stade de France [en mai 2022], ça lui prend 15 jours ou trois semaines et les problèmes ont été analysés avec rigueur. Ce rapport fait date. Les recommandations sont claires. Derrière, “vous” (sic) livrez une Coupe du monde de rugby avec ces nouveaux principes opérationnels et ça fonctionne super bien. Idem, la fête du 31 décembre dernier où un million de personnes se sont retrouvés sur les Champs-Élysées. Ça fonctionne super bien ».
Pour faire le lien entre Gangwon 2024 et Paris 2024, il y a cette notion d’héritage mais peut être assez floue. En Corée du Sud, il y a eu un travail concret pour faire vivre les équipements olympiques…
C.D. : « Kim Arram, le directeur de la fondation PyeongChang sera justement à Paris. L’une des raisons, c’est de pouvoir bénéficier de son expérience, et ce n’est pas que pour Paris : c’est pour tous les organisateurs. On a un programme d’observation pour toutes les villes intéressées, pour le futur. Evidemment que l’on aura les organisateurs de “France 2030”. On a beaucoup à apprendre des actions de la fondation comme le Musée de PyeongChang qui est un très bel outil d’engagement, à la pointe de la technologie ».
Bruno Cuaz, envoyé spécial à Gangwon (Corée du Sud)
© SportBusiness.Club Janvier 2024